Rechercher dans ce blog

24 février 2013

Andrea Japp : un auteur indépendant… et rebelle


Andrea Japp est un auteur prolixe et inspiré de nombreux romans policiers. Ses récits, aussi bien contemporains – série Diane Silver – qu'historiques – série Druon de Brévaux – sont tous disponibles chez de grands éditeurs tels que Le Masque, Calmann-Lévy et Flammarion. Et lorsqu'elle n'écrit pas, elle traduit les polars de Patricia Cornwell mettant en scène la célèbre Kay Scarpetta. On lui doit aussi des scénarios de téléfilms et de BD.
Auteur connu et reconnu, donc, Andrea Japp a cependant tenté dernièrement l'expérience de la publication indépendante et s'en explique.

DR
Vous êtes l’auteur d’un grand nombre de romans publiés chez des éditeurs traditionnels, qui remportent le succès que l’on connaît. Cependant, vous avez récemment publié un recueil de nouvelles en auteur indépendant, Entre sourires et larmes. Qu’est-ce qui vous a conduite à cette démarche ?
D’abord, la curiosité. Des copains auteurs avaient sauté le pas et m’ont encouragée à les imiter. J’ai traîné, songeant que j’allais faire un essai « quand j’aurais un moment ». Puis est arrivée la loi sur les indisponibles1, et j’avoue que j’ai été très agacée par ses conditions. Autant je la jugerais bénéfique en version opt-in2, autant sous la forme adoptée elle m’a paru abusive. Seul un auteur (ou ses ayants droit) est à même de décider si l’un de ses anciens titres doit être réédité en numérique. D’ailleurs, les maisons d’édition ont proposé des avenants à leurs auteurs pour le passage en numérique de textes déjà anciens, l’auteur étant alors libre de refuser. C’est de cette façon que les choses doivent se dérouler. Face à cette loi, la publication indépendante m’a alors semblé la solution idéale pour que certains de mes textes, qui ne sont plus commercialisés sous forme papier, ne tombent pas dans la catégorie « indisponible ». En réalité, ce fut une rébellion de ma part. 
Je suis également partie d’une conviction : le livre papier ne disparaîtra pas et c’est heureux. Il génère un attachement très sentimental, physique, presque sensuel. On veut le voir dans une bibliothèque. On veut constater, à l’usure de sa tranche, à quel point on l’a aimé et lu. En revanche, le numérique est appelé à un énorme succès. Ca ne prend pas de place, ça se transporte facilement et (dans mon cas) autant il peut s’avérer difficile de jeter un livre-papier, même mauvais, autant l’effacer est aisé. En plus, c’est moins cher.
L’expérience était donc très tentante !

1 Cette loi a été adoptée par l’Assemblée nationale, dans la nuit du 22 au 23 février 2012, mais n’est toujours pas appliquée, car elle est tout simplement anticonstitutionnelle. En résumé, elle autorise la numérisation d’œuvres classées indisponibles (c’est-à-dire qui ont cessé d’être commercialisées par les éditeurs), en vue d’une nouvelle exploitation commerciale sous la forme de livres électroniques, et ce sans en demander l’autorisation aux auteurs ou à leurs ayants droit. Pour plus d’informations, vous pouvez consulter le texte de loi tel qu'adopté. Et voici deux articles très clairs parus dans ActuaLitté : Numérisation des œuvres indisponibles : auteurs spoliés, droit bafoué…" et "Œuvres indisponibles : pourquoi la loi ne passera jamais".  
2 Dans la version opt-in, les auteurs et les ayants droit disent s’ils sont d’accord ou non pour que l’on procède à la numérisation de leurs œuvres. S’ils n’effectuent pas cette demande, les œuvres ne sont pas numérisées. Dans la version opt-out (la version adoptée, bien sûr !), les œuvres sont numérisées, et les auteurs et ayants droit disposent d’un certain délai pour exprimer leur désaccord. Ce qui implique pour eux d’être informés que leurs œuvres ont été numérisées. En gros, c’est à eux d’être vigilants.

Quels avantages voyez-vous à publier ses livres de façon indépendante, comparativement à une publication par un éditeur traditionnel ?
Dans mon cas, pouvoir rééditer un texte qui n’est plus exploité, en le réécrivant.
Plus généralement et pour des auteurs qui peinent à se faire éditer par des éditeurs traditionnels, c’est aussi sans doute le meilleur moyen de proposer leurs textes aux lecteurs.

Quels sont les inconvénients ?
Selon moi, l’édition indépendante, numérique, c’est-à-dire n’exigeant pas de mise de fonds importante, aura les défauts de sa principale qualité – la liberté de publier. On risque un afflux de mises en ligne de textes inintéressants (et il y en a) ou de textes qui n’auront pas été convenablement édités. Les lecteurs de livres numériques indépendants se plaignent déjà des fautes de français ou d’orthographe, voire des couacs de construction, même lorsque le texte est de qualité. De fait, une œuvre de fiction n’est pas seulement un imaginaire, une histoire, des personnages, c’est également de la technique. Il ne faudrait donc pas que le lecteur se décourage et finisse par ne sélectionner que les auteurs qu’il connaît. On parviendrait alors à l’inverse du résultat espéré.

Avez-vous rencontré des difficultés particulières, d’ordre technique ou autre ? Que pensez-vous des différentes plates-formes des librairies en ligne ?
Non, j’ai même été sidérée par la simplicité du procédé. Cela étant, je ne connais que le KDP d’Amazon et ne puis donc pas juger des autres plates-formes. Dans mon cas, l’expérience a été très concluante, de bout en bout, et j’en garde un excellent souvenir.

Avez-vous une idée du regard que portent les professionnels du livre – éditeurs, auteurs, libraires, critiques, journalistes – sur les  auteurs indépendants ? Et les lecteurs, qu’en pensent-ils ?Je ne peux répondre qu’en me fondant sur ma petite expérience.
Les auteurs que je connais ont, le plus souvent, à peu près mon âge, ne sont pas tous à l’aise avec un ordinateur (loin s’en faut). Ils s’imaginent, à tort, que mettre un texte en ligne exige une licence d’informatique. Témoin, cette amie qui venait de se faire refuser pour la quatrième fois un texte et qui m’a rétorqué : « Mais je ne sais même pas ce qu’est un pdf. »
Les lecteurs que je rencontre, lors des salons par exemple, sont très intéressés, mais un peu inquiets, pour les raisons que j’évoquais. S’agissant de lecteurs de polars, donc de très gros lecteurs en général, l’aspect du prix est bien sûr un atout considérable à leurs yeux. Cela étant, on sent de leur part une hésitation, sur le mode : « Mais comment savoir si c’est un bon roman, bien écrit ? » C’est là que les journalistes et les critiques ont un rôle considérable à jouer.
Bon, c’est une interprétation très personnelle, mais je ne pense pas du tout que les éditeurs traditionnels voient d’un mauvais œil les auteurs indépendants. Une maison d’édition est aussi pragmatique. Après tout, si un auteur indépendant connaît un succès fulgurant, et cela s’est vu, l’éditeur peut faire une proposition derrière. Les liens auteurs-éditeurs ont changé, avec le monde. Les « mariages à vie » entre un auteur et son éditeur existent de moins en moins. « Récupérer » un auteur ou au contraire le voir partir est devenu assez banal pour un éditeur. Au fond, les auteurs indépendants sont une sorte de vivier de talents potentiels, et je suis bien certaine que les éditeurs en sont conscients.

À votre avis, de quelle manière le courant indépendant, en littérature, pourra-t-il gagner ses lettres de noblesse ?
En livrant de bons textes aux lecteurs, quoi d’autre ? Étant moi-même grosse lectrice, je passe sur un mauvais film, un mauvais restaurant. En revanche, je suis vraiment déçue, parfois furieuse, lorsque je tombe sur un mauvais roman ou, pire, un roman bâclé.

Comment voyez-vous l’évolution de ce mode de publication ?
J’espère véritablement qu’il donnera leur chance à des auteurs qui n’ont pas trouvé d’éditeur traditionnel. Il existe d’excellents textes, atypiques, qui ne trouvent pas toujours d’éditeurs. Pour le reste,  j’en suis au stade du point d’interrogation. Je peux, bien sûr, me tromper, mais selon moi l’alternative est simple : ou l’on va vers un grand bordel, avec une multitude de textes de qualité très variable, dont certains décevront et rendront les lecteurs méfiants vis-à-vis des indépendants qu’ils n’ont jamais lus, ou les auteurs deviennent éditeur de leurs ouvrages. Il s’agit d’un véritable métier, qui apporte énormément à un livre. Cela suggère un regard objectif et critique sur son propre travail – « l’œil » de l’éditeur traditionnel – et ce n’est pas simple. Cela suggère également derrière une « machine » qui, dans une maison d’édition traditionnelle, va de la préparation de copie aux corrections orthographique et typographique, en passant par la couverture et la mise en page, et bien sûr, très important, par la promotion. Au fond, il faudrait que se créent (mais peut-être est-ce déjà le cas) des sortes de bureaux de préparateurs et de correcteurs pour les auteurs indépendants.

Pouvez-vous nous présenter Entre sourires et larmes ?
Entre sourires et larmes était donc une expérience pour moi. Mes titres sont maintenant proposés en numérique par mes éditeurs, mais je n’avais jamais mis « la main à la pâte » en la matière.
Concernant le recueil : il s’agit de nouvelles, souvent polar, parfois un peu fantastiques, entre humour noir et noir tout court. Deux d’entre elles étaient parues chez un tout petit éditeur, qui a disparu il y a bien longtemps de cela. J’ai donc complètement réécrit ces deux nouvelles en en créant d’autres. Ce sont des instantanés d’humanité, parfois terriblement attachante, parfois exaspérante, voire meurtrière.

Quels sont vos projets littéraires ? Publierez-vous votre prochain livre en auteur indépendant ? Si non reviendrez-vous à ce mode de publication ?
Mon prochain roman, « In anima vili », clôt la série des Mystères de Druon de Brévaux. Il sortira en mai 2013. En octobre sortira le 3e volume des Enquêtes de M. de Mortagne, bourreau. J’attaque ensuite un projet qui m’occupe l’esprit depuis deux ans, avec un retour au thriller très contemporain. Le tout chez Flammarion.
Ah oui, je vais récidiver ! Je n’éprouve aucune angoisse ou animosité envers les ordinateurs ! Cette année, je compte mettre en ligne deux textes réécrits. Ma vision a changé. De surcroît, lorsque comme moi on développe aussi une veine « polar scientifique », il est ahurissant de rééditer des textes dépassés parce que la science et la technologie ont tant évolué en dix ans. Il n’y avait pas de téléphone portable, ou très peu, à l’époque où je les ai conçus, c’est dire ! Il s’agit, pour moi, du véritable privilège de cette forme d’édition. Mais je songe aussi à une veine « young adults », comme on dit dans l’édition, à cheval entre la science-fiction et le polar.

Consultez 
la bibliographie d'Andrea Japp.

1 commentaire:

  1. C'est fou ce qu'on peut apprendre en lisant un des romans (historiques) d'Andréa Japp. Merci encore

    RépondreSupprimer

Vos commentaires sont les bienvenus.