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11 janvier 2013

Entretien avec Véronique Sauger, de France Musique [3] : un auteur hors cadre

© David Az
Véronique Sauger a joué, de 1990 à 2008, dans l’orchestre philharmonique de Radio France (contrebasse), avant de produire et d’animer depuis 2005, dans cette même maison de Radio France, sur France Musique, une émission intitulée Les Contes du jour et de la nuit, dans laquelle elle mêle en virtuose – elle n'a pas l'oreille absolue pour rien – les mots et les notes. Elle a également créé, il y a peu de temps, les éditions Épingle à nourrice. Enfin, si elle met en lumière les textes des autres, elle écrit aussi elle-même. Dans ce troisième entretien, c'est au sujet de son travail d'auteur qu'elle répond aux questions d'Écran total.




Qu’écris-tu ? Parle-nous de tes différents ouvrages. Quel est ton univers, quelles sont tes influences ?
Qu’écris-je, et qu’ai-je écrit ?
Des romans, des essais, des fragments, des poésies, également des portraits dont la base est Laissez-vous conter, émission aujourd’hui supprimée d’interviews mises en musique, créée en 2005 pour France Musique, suite à ma formation à l’écriture audiovisuelle aux côtés de Daniel Kupferstein (réalisateur de documentaires filmés pour la télévision), Michel Sidoroff (réalisateur de fictions radiophoniques pour France Culture), Christian Oster (romancier) et Robert Arnault (créateur, animateur d’Histoires possibles et impossibles sur France Inter).
Pourquoi est-ce que je précise cela ? Parce que pour moi tout est lié, l’écriture est un tout, et j’entends comme je vois ce que j’écris.
Mon univers est sonore, et par ce sonore-là, j’exprime le silence, la pensée, l’émotion, suivant une structure compositionnelle musicale, mais l’air de rien, et ça, c’est important pour moi. Je n’aime pas ce qui est connoté. J’aime que l’imaginaire et le ressenti des lecteurs restent ouverts, libres d’aller où leur cœur va, où leur expérience pourra résonner. Liberté.


Mon premier ouvrage publié l’a été par les éditions Radio France. Il s’agit d’un livre CD, Les Bonbons sauvages, allégorie poétique dont la musique a été enregistrée par un quatuor à cordes de musiciens exceptionnels, et illustrée – collages réalisés en résonance – par Sylvain Moréteau, chroniqueur de l’habitat écologique ! J’avais écrit ce conte en pensant aux Bagatelles de Webern et lorsque j’ai participé à la réalisation de l’enregistrement, j’ai réécrit le texte en adaptant le conte comme un livret d’opéra, mots et musique s’épaulant, se répondant les uns les autres, tous indispensables. Un article de Gérard Condé dans le journal Le Monde décrit cela avec beaucoup de finesse et d’intelligence : la musique, la voix, les mots.
Pour moi, l’écriture se situe dans les interstices du silence de l’émotion, dans la métaphore qui ouvre l’imaginaire et la prise en charge de son propre ressenti, juste guidé par la trame.


Mon deuxième livre édité, Portraits croisés de Francesca Solleville et Allain Leprest, fait suite à leurs interviews dans Laissez-vous conter. J’ai eu à cœur de soigner la poésie malgré le sujet plutôt documentaire. Allain Leprest était un artiste et un poète hors norme, un génie, j’ai ainsi voulu lui rendre hommage. Quant à Francesca Solleville, chanteuse « à textes », son engagement tout terrain et son amitié forte avec Allain ont permis un échange exceptionnel, authentique. J’ai ajouté en tête des chapitres des paroles de chansons de l’album Al dente, écrites par Allain Leprest, dont les musiques ont été composées par Gérard Pierron (rédacteur de la préface du livre), mais aussi par Jean Ferrat et Michel Précastelli pour deux ou trois d’entre elles. J’ai fait de la partie « commune » – Allain et Francesca interviewés ensemble – une courte pièce de théâtre, au centre de l’ouvrage.
Cela a constitué pour moi un exercice d’écriture inédite qui m’a captivée. Le tout donne un livre de portraits extrêmement forts qui aurait mérité un soutien médiatique.


Mon troisième livre publié s’intitule Musique, mon amour… Ah ! la musique !
Quand, rendue inapte par une succession de problèmes de santé, j’ai dû arrêter la pratique instrumentale, j’ai accusé le coup, et quelque chose en moi s’est brisé. Pour le réparer, j’ai imaginé une correspondance avec ces compositeurs qui m’ont accompagnée durant toute ma vie de musicienne, seule ou à l’orchestre philharmonique de Radio France. Pour moi, la musique et son interprétation sont « l’être » sans les mots. J’ai vécu des années de concerts en étant accompagnée par les seules ombres omniprésentes de centaines de compositeurs dont je cite dans chaque lettre les titres des œuvres de façon subliminale.
Ce ne sont pas les compositeurs qui s’expriment, ce sont des impressions, mes impressions  qu’une même passion musicale réunit malgré le temps, les années et les siècles passés. D’un côté la musique, de l’autre le silence ! J’ai cherché des mots justes qui ne soient pas un rapport de force. J’ai donc écrit à chacun mon amour... de la musique ! Ce sont, pour résumer, des lettres d’amour. Les lecteurs les ressentent comme ils « l’entendent ».  Certains m’ont dit se sentir directement concernés par cet amour ! D’autres ont entendu les centaines de musiques dans la pièce où ils lisaient le livre et ont eu ensuite une immense envie de les écouter réellement ! Quant à moi, j’espérais faire ressentir la musique, « ma » musique, par les mots du cœur. C’est à mes yeux mon témoignage écrit le plus important.


Où peut-on se procurer tes livres publiés ?
Eh bien, par les sites des éditeurs, je pense, Radio France, et Les points sur les i. Honnêtement, je ne sais pas, je ne sais plus. Il est avéré que les deux derniers livres n’ont jamais été diffusés ni distribués en librairie par l’éditeur.


Certains de tes textes non publiés ont intéressé des éditeurs, et finalement la démarche n’est pas allée jusqu’au bout. Pour quelles raisons, que s’est-il passé ?
Ce qui semble intéresser d’abord les éditeurs, c’est l’autobiographie, triste ou incroyable, bref, qui vende un parcours difficile dans la vie. Mon premier roman, sur fond de milieu musical, évoque les relations humaines pendant les tournées, la quête de soi, de son identité, au travers de voyages, de concerts, mystères du passé et événements du présent se retrouvant mêlés, se séparant, puis se réunissant en miroir.
Le deuxième roman se fonde sur d’importantes recherches que j’ai réalisées auprès de psychiatres  – syndrome d’Asperger, schizophrénie –, ainsi que sur la dérive physique et mentale de SDF – observations sur le terrain. J’ai placé le tout dans un univers transparent, de glace, étayé de références à toutes sortes de musiques, de Vivaldi à Piazzolla, Riley, Pärt, Weill, en passant par les Beatles dont j’ai traduit littéralement certains titres et paroles. L’histoire avance par à-coups, errance symbolique, rencontres et lieux de vie méconnaissables, devenus inédits et intimes. La part de moi-même, de ma vie, y est infime, ce fut une base pour dépasser le sujet, le rendre universel. Mais là est la démarche de tout écrivain, mêler histoire, sensation, recherches, fiction, intuition. Des éditeurs m’ont demandé de gommer le côté métaphorique, de réécrire au « je », d’en faire explicitement l’histoire de ma vie. J’ai refusé.
J’ai réécrit il y a peu mes deux romans, oui, car je désirais éclaircir certaines images, mettre du liant, mais je n’en ai (toujours) pas fait l’histoire de ma vie.


Que comptes-tu faire de tes textes « dormants », et travailles-tu sur de nouveaux ?
Mes textes dormants... Il y en a beaucoup, j’aimerais les sortir de l’ombre. Pour commencer, nous réfléchissons, avec le créateur visuel David Azulay, à un concept complètement original de photo-roman et sons pour les deux écrits évoqués ci-dessus. Il faut savoir que j’entendais et voyais très clairement ces romans lorsque je les écrivais, et que tout y est décrit.
Il ne s’agira pas de roman photo avec bulles de textes, non, mais d’une démarche cinématographique immobile, dont les traitements de l’image feront référence aux sons (« les images résonnent, elles ont toutes un rythme, un spectre sonore », selon David Azulay) et au texte, bien sûr, mais aussi à des courants picturaux et/ou photographiques.
Quant aux centaines de poèmes et fragments poétiques qui reposent dans mon disque dur, je ne sais pas, j’ai besoin d’aide éditoriale pour les organiser ; les regrouper par thèmes, par exemple...
J’ai également écrit trois séries, ou collections, de contes radiophoniques pour les Contes du jour et de la nuit (diffusés sur le Web de France Musique), qui je l’espère trouveront bientôt un illustrateur ou un créateur, un artiste visuel.
J’aimerais présenter tout cela – romans, fragments, poèmes, contes – à l’édition Web comme des livres CD. Les réalisations sonores sont de très grande qualité, et on pourrait leur adjoindre une petite vidéo, mettre en place une interactivité (réalité augmentée), et je ne dis pas tout... Un outil totalement neuf ! Qui ne renierait pas le livre papier pour autant !
J’ai contacté Elizabeth Sutton, avec laquelle tu as réalisé dernièrement une série d’entretiens, je ne connais pas bien les possibilités ni la portée de l’édition numérique, nous verrons.
Puis un troisième roman, de nouveaux contes et des fragments poétiques sont en cours. À suivre…


Toi qui es à la fois auteur et éditeur, quel regard portes-tu sur tes confrères éditeurs et sur l’édition française en général ?
Avec le livre illustré Histoire de Nounours qui vivait sa vraie vie quelque part sur un nuage, coécrit avec un groupe d’adolescents autistes et Ated, je suis à la fois auteur et éditeur. Je me suis, là, mieux rendu compte de la difficulté d’être hors cadre, et dans ce cas précis à la fois dans les choix de fabrication du livre, du sujet, et du fait de la participation d’un groupe de handicapés en tant que co-auteurs de la création.
Nous avons dû négocier au plus serré, et nous avons publié le livre à compte d’éditeur, mais nous nous heurtons aux refus des libraires, peu ou pas enclins du tout à soutenir une démarche différente, atypique.
Le formatage des livres pour la jeunesse est impressionnant, il y a des codes pour tout, la couverture doit être d’une certaine facture et pas d’une autre, et sauf rares exceptions, les illustrations descriptives et le texte doivent raconter des tranches de vie clairement (arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur, entrée en crèche, à l’école, etc.) !
Comme les libraires ne savent pas d’emblée dans quelle case ranger notre livre, ils le refusent. Ou s’ils le gardent en dépôt, ils l’oublient dans un coin, et finalement nous renvoient à nous-mêmes.
Le jury du prix Handilivre nous a répondu que ce livre était trop poétique, donc pas assez vendeur, si bien que nous n’avons pas été sélectionnés.
De mon point de vue, ce formatage est le même pour tous les livres de tous les âges. C’est ce qui me fait penser que les maisons d’édition « en vue » ne font pas leur travail de chercheurs et détecteurs de nouvelles écritures, ils ne prennent aucun risque. Aucun.
Quant aux petites maisons d’édition, elles manquent d’aide, de moyens, de visibilité. Elles n’ont en général aucune communication ou la refusent, cela arrive, préférant vendre et diffuser par elles-mêmes. Elles ne sont donc pas prises au sérieux.
J’ajoute qu’hélas certaines de ces petites maisons d’éditions proposent des contrats à compte d’éditeur déguisés, qui sont en réalité des comptes d’auteur au final très coûteux, de mauvaise qualité de fabrication et ne bénéficiant bien sûr d’aucune promotion.

Nous sommes à un tournant, il est impossible de continuer ainsi. Je suis pessimiste. Tout autant qu’idéaliste. J’espère pouvoir créer bientôt une structure égalitaire, inédite, de qualité, regroupant les arts et concepts évoqués plus haut pour mes propres écrits.

« Il n’y a point de bonheur sans courage ni de vertu sans combat », écrit Jean-Jacques Rousseau dans Émile ou De l’éducation.

Ce sera difficile, certainement. Est-ce que je rêve ?


2 commentaires:

  1. Passionnant... Je souhaite que votre projet d'une structure égalitaire, inédite, de qualité, regroupant les mots, sons, images, aboutisse ! Une aventure à suivre avec un grand intérêt.

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  2. Super idéal! Merci d'exister Véronique Sauger!

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