Rechercher dans ce blog

16 décembre 2012

Entretien avec Véronique Sauger, de France Musique [2] : Épingle à nourrice éditions

© David Azulay
Dans un précédent entretien, Véronique Sauger évoquait son émission Les contes du jour et de la nuit, diffusée quotidiennement sur le site Web de France Musique en streaming et disponible en podacast. Émission dans laquelle, à travers des appels à écriture, elle donne la parole à tous, anonymes ou auteurs reconnus. Son sens du partage de la parole et de l'écriture ne s'arrête pas là, puisqu'elle a fondé en 2008 Épingle à nourrice éditions, qui prolonge peut-être l'action qu'elle a commencé à mener sur France Musique. Le mieux est de le lui demander.

Pour quelle(s) raison(s) avoir choisi le nom Épingle à nourrice ?
J’ai créé Épingle à nourrice éditions tout de suite après avoir créé l’association Gens du monde, dont elle est une ramification.
Le nom fut d’abord lancé comme une plaisanterie, mais j’y ai rapidement vu et entendu le symbole de tout ce qui peut attacher, rattacher, coudre, aider, nourrir. Il s’agit également d’un clin d’œil à la culture punk ; culture du paradoxe, car sous des apparences décalées, avec des épingles à nourrice utilisées comme bijoux, en piercing, en tatouages, et la réappropriation artistique des vêtements de masse, les punks sont souvent bien fragiles. Comme les mélodies émanant de cette musique, d’ailleurs, simples, courtes, refusant toute démonstration ostentatoire de virtuosité.
Simplicité et sobriété.

Quelle ligne éditoriale soutiens-tu ?
Eh bien, justement, simplicité et sobriété. C’est vraiment le principe d’action, voire l’idéologie, d’Épingle à nourrice éditions.

Ta démarche s’inscrit-elle dans le prolongement naturel, instinctif, évident de l’action (on peut carrément parler d’engagement) que tu mènes avec ton émission Les contes du jour et de la nuit ?
La démarche complète en effet celle des Contes du jour et de la nuit : après avoir ouvert la création à tous avec une musicalité parfois éphémère, j’ai voulu tenter d’offrir la possibilité de les imprimer dans toutes les strates du temps.
Il y a un article très important dans les statuts de l’association, l’article 2 :
« Cette association (loi 1901) a pour but l’accession de tous à la culture, à la création, la défense de la littérature, de l’écriture ainsi que de toute autre activité artistique, comprenant édition, lectures publiques, radio Web, ateliers, ainsi que la collecte et la diffusion d’écrits, témoignages, de France et d’autres pays (pouvant nécessiter des déplacements), d’artistes censurés et/ou en situation de précarité. L’art en partage pour en finir avec l’élitisme et la censure (…) collaborations d’artistes, écrivains, journalistes, photographes, graphistes, illustrateurs, vidéastes, de France et de l’étranger... »
Notre rôle est aussi de faire intervenir des professionnels lâchés par le système. C’est avec eux que nous aidons les publications de collectifs (retraités, SDF, foyers...), d’ateliers d’écriture, de groupements d’auditeurs, d’écoles, d’IME... pour pérenniser une œuvre, une démarche, un projet. Retrouver une dignité rejoint la fierté d’avoir créé, rend heureux. Pouvoir montrer cela fait grandir. C’est important.

À quelles difficultés es-tu confrontée dans le bon fonctionnement d’Épingle à nourrice éditions ? Es-tu diffusée aisément, présente dans toutes les librairies, bénéficies-tu de soutiens ou d’aides de la part d’organismes comme le CNL, dont c’est la vocation ?
Je suis confrontée à toutes les difficultés, et je n’ai aucun soutien. Ma réponse peut sembler cynique mais c’est la réalité. Offrir au plus grand nombre la possibilité d’être accompagné de manière professionnelle dans l’élaboration d’un recueil, et cela très simplement, pour un coût minimum (participation aux frais d’impression) et une réalisation parfaite (mise en page, création originale des couvertures, choix des matériaux en relation avec le thème du recueil ou du livre) n’est pas de tout repos. Les auteurs reçoivent ensuite la quasi-totalité des ouvrages (l’association en conserve de 20 à 50 exemplaires, selon le tirage, la carte d’adhérent étant un livre au choix), sont déclarés à la BNF, à Electre, etc. et conservent la totalité de leurs droits. Comment faire un autre choix ? Mais je passe mon temps à chercher des bénévoles, des fonds, des dons, des adhérents. Je passe mon temps à négocier.
Nous ne sommes que miraculeusement présents dans les librairies, peu intéressées par une démarche parallèle, hors circuit.
Quant au CNL, j’ai déposé une demande d’aide une fois et je n’ai même jamais obtenu de réponse. Qui bénéficie des aides du Centre national du livre ? En cherchant un peu, j’ai trouvé : des maisons d’édition déjà connues et reconnues ! C’est assez injuste… et décourageant.

Qu’est-ce qui te fait tenir bon dans la tourmente ?
L’espoir. L’espoir sincère d’un monde meilleur, plus égalitaire, plus solidaire, plus juste, plus tolérant, donc... cultivé.
Les autres. Aider les autres, leur transmettre, les rendre heureux et fiers d’eux-mêmes, c’est ma ligne de conduite, ma passion, mon devoir.
La défense de la liberté d’expression. Faire perdurer, mettre en pratique la pensée de Voltaire : « Je défendrai mes opinions jusqu’à ma mort, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez défendre les vôtres ! »

Quel regard poses-tu sur l’édition numérique ? As-tu déjà envisagé cela comme un outil de diffusion puissant et à faible investissement financier ?
Il faut savoir que les auteurs que nous publions aiment et veulent des livres, l’objet livre. Sinon, pour le numérique, il y a la question des droits, c’est très important pour moi, je ne connais pas très bien ce qui est proposé en édition numérique. Quand je sais qu’à la radio je n’ai plus aucun droit en étant passée uniquement sur le Web, je me pose des questions.
Je pense tester d’abord moi-même, avec mes propres écrits, l’édition numérique. Ensuite, lorsque Épingle à nourrice éditions ne sera plus gérée en association et élargira ainsi son champ éditorial, nous y viendrons certainement pour certaines thématiques.
Peut-être deviendrons-nous alors un leader de l’édition numérique, épaulés par la Web radio culturelle et internationale à laquelle nous réfléchissons. Peut-être la culture sera-t-elle alors en partage mais tout en reconnaissant les artistes, vraiment ? 

Tu parles d’une Web radio culturelle internationale. J’en viens donc à te demander quels sont tes projets.
Survivre libre !
Avant cela, pour cette année, l’Académie de Rennes/Brest m’a proposé de collaborer à des ateliers d’écriture, de mise en voix, de mises en sons, puis d’édition. J’ai animé les premiers ateliers il y a quelques jours, avec des jeunes de  Segpa (Section d’enseignement général et professionnel adpté). Quelle classe, ces gamins souvent considérés comme perdus ! Quelle écoute, quel courage, y compris celui de se remettre en cause.
Ce travail se situe dans la continuité de celui que j’ai effectué à Nantes pendant 3 ans, puis ensuite près de Mulhouse avec le groupe Ated (Autisme et troubles envahissants du développement) de l’I.M.E de Bartenheim, et enfin auprès d’une fondation éducative à Istanbul.
Et comme tu l’as relevé, je réfléchis en effet à la création d’une Web radio hébergée chez Arte radio.
Créer ensemble, en lien(s), sur un même thème, se retrouver ensemble dans un livre rend plus fort, lie, relie, réunit.

Merci pour toutes tes réponses. Tu as également évoqué tes propres écrits. Cela fera l’objet d’un troisième entretien. Tu n’as pas le choix, je ne te lâcherai pas avant.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vos commentaires sont les bienvenus.